Créatures Artificielles et Art
Antoine Schmitt
11 mai 1997
Créatures Artificielles, dans ce contexte, englobe toutes les recherches et réflexions que je peux engager à partir d’un seul concept: la place dans le monde d’une ou plusieurs créatures artificielles.
Ce texte représente les réflexions en vrac. Les références aussi. Je lui donnerai une structure dans le futur.
D’abord quelques références. Dans la littérature, dans la science. Dans un ordre non chronologique.
Frankenstein tout d’abord. Créature artificielle, physique, née de l’électricité. Question: quelle étaient les motivations du créateur dans le roman ? Quelles étaient les références de l’écrivain(e) ? Etaient-elles personnelles, littéraires ou mythologiques ? La créature ainsi née de la folie de son créateur, un homme, un savant, est profondément malheureuse. Mais elle apparait, à tord, comme un monstre. A force d’être prise pour un monstre, elle finit par en devenir un, tue et est tuée par le peuple effrayé. La créature avait visage et forme humaine. Mais elle était mal finie, il y avait des défauts de finition, des coutures grotesques. Ses mouvements étaient très mal coordonnés, gauches. Au bout du compte, Frankenstein nous renvoie à notre statut d’humain.
Autre référence littéraire: L’Eve future de Villiers de L’Isle Adam. Le créateur est encore un scientifique (“le plus grand scientifique de tous les temps”, Edison), un savant. Il veut créer la femme idéale, pour le bien de son bienfaiteur, et accessoirement de l’humanité. Créature parfaite, femme idéale, exempte de tous les défauts, de toutes les faiblesses des femmes humaines. Sur-femme, mais mécanique. Elle meurt accidentellement dans le naufrage d’un navire.
Le Golem. Dans ce mythe juif, un rabbin crée un être de glaise, pour aider ses administrés. Mais au bout du compte, cet être lui échappe et cause de nombreux malheurs publics avant de disparaître. Physiquement, le Golem est plus grand qu’un être humain, et ne lui emprunte que la forme générale: un tronc, un tête sans détails, deux bras, deux jambes. Aucun détail, ni sur le visage, ni sur les autres parties du corps, il est grossièrement façonné en terre glaise.
Pour borner la réflexion, comprenons que nous n’étudierons pas les créatures non créées de main d’homme. De celles-ci, il en est pléthore. En littérature: les animaux “intelligents” ou “sensibles” de nombreux romans (les cyclopes ou les sirènes dans Ulysse de Homère, “La ferme aux animaux” de H.G.Wells, le grand méchant loup du Petit Chaperon Rouge, pour n’en citer que quelques uns), les innombrables extra-terrestres de la science-fiction. En théologie: les anges, les dieux et demi-dieux grecs, Dieu, les esprits de l’Animisme. Dans la mythologie: le Minotaure, les âmes errantes, les esprits, les sorcières, les fées. L’imaginaire humain est peuplé de créatures non humaines, mais néanmoins placée dans un rapport sensible avec l’Homme.
Dans une optique scientifique ou réaliste, il est admis aujourd’hui qu’il n’existe pas de créature connue qui puisse se mesurer à l’homme sur le plan de l’intelligence ou de la sensibilité, ou pour être plus général, sur le plan de la complexité. Placés dans le schéma darwinien, l’Homme se place au sommet d’une certaine échelle de l’évolution. Une certaine dose de sensibilité ou d’intelligence est accordée au grands singes, et aux dauphins. Les baleines, chevaux, chiens ou chats ont encore droit à notre considération. Les autres animaux ne se mesurent pas à l’Homme.
En ce sens, il est notable de réaliser le parallèle avec les religions chrétiennes et islamiques, entre autres, qui, hors Dieu, placent l’Homme (et souvent l’homme) au sommet de leur échelle de valeur.
Enfin, et pour encore borner notre investigation, notons le cas très particulier de la créature créée naturellement par l’Homme, c’est à dire lui-même. Nous n’étudierons pas les enfants et notre rapport à eux ici. Nous laisserons tout son sens actuel au mot “artificiel”, et nous considérerons que l’enfant est la seule créature créée naturellement par l’homme.
Bien sûr, toutes ces limites doivent nous servir de guides plutôt que d’interdits. C’est en nous heurtant à ces murs que nous devons affiner notre réflexion et lui donner corps. Nous ne les ignorerons pas, mais nous resterons dans leurs bornes.
Après cette mise en contexte, appliquons la leçon de Wittgenstein et essayons de raffiner notre définition de “créature artificielle” avant de poursuivre.
Par “artificielle”, nous entendons “non-naturelle”, ou plus précisément “créé de main d’homme”. Le dictionnaire nous donne deux grandes définitions en effet: D’abord “façonné de main d’homme, souvent sur modèle naturel”. Ensuite: “manquant de naturel, de spontanéité”. Nous apprécions comment le mot même “artificiel” se place sur la rupture entre le naturel, émanant de la nature et le “créé par l’homme”. Le mot accentue même le clivage en opposant les deux notions dans la deuxième définition. Ceci est relativement étrange à première vue, car l’homme étant “naturel”, créé par la nature, tout ce qu’il fait ou crée devrait être naturel lui aussi. Nous y reviendrons. Pour l’instant, notons, et j’y tiens, que ces définitions se retrouvent dans toutes les langues et cultures occidentales (français, anglais, allemand,…). Retenons que le sens que nous donnons à “artificiel” tiens à son caractère de production humaine, sans juger de la naturalité de cette production en général.
Notons l’étymologie du mot: artis facta, fait de l’art. L’art est ici pris comme aptitude à faire quelque chose et non dans le sens plus tardif de recherche du beau.
Voyons créature maintenant. Le dictionnaire nous dit qu’une créature est “un être créé, en particulier l’homme, créé par Dieu”. Nous voici donc avec “être”. Une patate chaude qui nous brûle les doigts. Mais soyons stoïques et gardons-la. Nous nous retrouvons donc avec la notion d’être, son cortège d’existentialisme, d’étants et d’existants, d’êtres et d’existers. Avec ces mois, ces consciences, ces consciences d’elles-mêmes. Nous voici face à l’être humain, le seul que nous connaissions.
Dans ce texte, nous étudions donc la créature artificielle, dans le sens d'”être créé de main d’homme”.
Nous sentons déjà une certaine affinité conceptuelle entre l’Art et la créature artificielle. Tout cela baigne dans les mêmes eaux. Précisons.
Quelques concepts que nous allons aborder: l’Art, la représentation, le rapport à la représentation, l’imitation, le réel, le naturel, l’artificiel, la nature humaine, l’être, l’existant, le vivant, la copie, l’Autre, le rapport à l’Autre, la projection, soi-même, la conscience de soi, la phénoménologie, la caverne de Platon, l’éïdétisme, l’essence et l’apparence, l’identité, le virtuel. La présence. La volonté et la souffrance. Le mystère.
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