Réflexions sur l’art programmé

Je crée de l’art programmé depuis 1995. Aujourd’hui, avec les NFT et l’intelligence artificielle, l’art programmé se retrouve sous le feu des projecteurs, et ceci est très stimulant.

Depuis 1995, il y a eu de nombreuses aventures au croisement de l’art et des programmes : la mailing-list eu-gene, le festival transmediale à Berlin, les outils Director, shockwave, Flash, etc.. Vous vous souvenez ? Tellement de discussions, d’arguments, de questions, de manifestes… C’était le temps des explorations, excitant et parfois dur.

D’autres dinosaures de l’art programmé des années 90 créent encore de l’art NFT : @lia, @golan, @JoshuaDavis, @mariuswatz @memoakten @toxi @presstube @newrafael @reas @flight404, @joanie, et d’autres… (?)

Les vrais pionniers de l’art programmé sont Vera Molnar, Manfred Mohr, Frieder Nake, Georg Nees. C’était dans les années 1960, le croyez-vous ? Mais la première œuvre d’art génératif connue est le Jeu de Dés de Mozart (1787).

Pour moi, la programmation est un matériau radicalement nouveau, en art et dans la vie, car c’est un matériau actif. Contrairement à la peinture, la vidéo, le cinéma, le texte, la sculpture, il continue à changer pendant qu’il est regardé, ou même parce qu’il est regardé.

Qu’est-ce que j’appelle art programmé ? Ce sont des œuvres d’art dans lesquelles un programme actif se trouve au cœur de l’œuvre, à la fois durant sa création et durant son exposition : systèmes, processus, génératifs, interactifs.

J’ai même écrit un manifeste sur l’art programmé, en 1998, nom de Turing :  https://www.antoineschmitt.com/3draftmanifesto/

En art programmé, l’œuvre est le processus, autant ou même davantage que son résultat. Certaines œuvres programmés n’ont pas de résultat. Elles existent simplement, et comme telles, génèrent des émotions, des sensations et des pensées chez les spectateurs.

Le sentiment esthétique découle des sensations. Les sensations générées par l’expérience de processus et systèmes actifs d’œuvres programmés sont les mêmes que celles générées par les œuvres temporelles, plus d’autres, relatives à l’expérience de performances live.

Les œuvres d’art programmées temps réel existent dans le même temps présent que le spectateur, qui ressent les mêmes émotions que devant un performer : que va-t-il se passer ensuite ? Quelles sont les règles ? Quels sont les risques ?

Identification, empathie, peur, attente, surprise, curiosité analytique, émerveillement, anxiété, joie, fascination, apaisement, etc…

Certaines œuvres programmées ne génèrent rien, elles existent simplement. Certains génèrent des images, de la musique, du texte. Dans tous les cas, l’œuvre réside dans le processus, plus que dans le résultat. La répétition et les variations des résultats exposent le processus aux spectateurs.

Lors de la création d’une œuvre programmée, l’artiste manipule les causes du mouvement : systèmes, processus, mécanismes, forces, opérations, énergies, lois, règles, contraintes, limites, actions, déclencheurs, inhibitions, rétroactions, liens, influences, etc… Et la Déesse Hasard…

En art programmé, le créateur manipule le processus à l’œuvre, et les spectateurs sont confrontés, à travers les effets résultants, au processus. Le processus est la cause du mouvement. J’appelle cela l’esthétique de la cause.

A travers les œuvres programmées, j’explore personnellement les processus du mouvement dans : le cosmos, les foules, la psyché, la physique, le raisonnement, le corps, la politique, la dialectique, les mathématiques, les relations sociales, l’économie, etc…

Un ordinateur est une machine universelle au sens de Turing, il peut reproduire n’importe quel processus à partir du moment où ce processus peut être entièrement décrit. Les œuvres programmées peuvent donc reproduire tout processus de la vie réelle, s’il peut être décrit. Ce qui est un peu de la magie.

Avec les œuvres programmées, on peut simuler tout processus de la vie réelle. Ou inventer de nouveaux systèmes, de nouvelles lois, de nouvelles règles : des fictions dynamiques, des univers parallèles, des politiques alternatives, des manières d’être imaginaires…

Avec les œuvres programmées, il est possible d’analyser ou de fictionnaliser les forces à l’œuvre dans la réalité en les reproduisant ou en les altérant : la physique, les émotions, les lois, les traditions, la chimie, les histoires, les forces vitales, etc…

Recréer des variations des processus de la vie réelle dans des œuvres programmées me permet de déconstruire les processus de la réalité, et de les reconstruire de manière partielle ou différemment, pour les mettre en lumière ou les questionner.

Les processus de la vie sont très complexes. Les recréer et les modifier dans des œuvres programmées met en lumière ce qui nous meut : besoins, désirs, mémoire, prédictions, curiosité, hormones, raisonnement, etc… et toutes les combinaisons et conflits de ceux-ci.

Héraclite disait que toute forme nait d’un conflit. En utilisant des programmes, je crée des conflits dynamiques qui créent des formes : désir et réalité, désirs opposés, volonté et lois, forces opposées, forces perturbatrices, etc… A travers les formes, les spectateurs sont confrontés au conflit.

En utilisant l’art programmé, je pose les questions : pourquoi ça bouge ? Pourquoi ça bouge comme ça ? Je recrée et j’abstrais des situations de la vie réelle ou des situations imaginaires. Ce sont des situations délicates, des équilibres instables, des confits, etc…

Les processus des œuvres d’art programmées peuvent agir au niveau de la surface de l’image (pixel), au niveau du mouvement (physique), au niveau de la structure (architecture, règles), jusqu’au niveaux symboliques supérieurs (langage, sens), et tout autre niveau dynamique, ou mélange de tous ceux-ci.

 

 

(tweets postés en janvier 2022 au plus haut du boom NFT : réflexions et tentatives d’articuler l’art programmé avec l’histoire de l’art et d’expliquer mon approche de l’art programmé. Légèrement mis à jour pour nettoyer les artefacts d’écriture sur Twitter et pour inclure l’art IA).

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